vendredi 24 février 2023

CATHY GARCIA

Je dois marcher encore, vers les jachères où les sources vives brassent des runes de rocs et d’ongles. Ça ulule, ça hurle, les nuits sont glacées, les étoiles toujours inaccessibles mais le cœur résonne dans le bois, dans les pierres.
Tambours, feux couvés. Flammèches, camouflage des crinières.

Nuques renversées. Transe insolente.
L’âme s’encorde aux cailloux sorciers.
[Fugitive 2014]
Série déchets
    Les yeux enflés de nuits raccourcies, cabossées par des malles de sel que charrient des ruisseaux soudain grossis, là où le paysage était pourtant tranquille…. La violence du retour à soi, à l’abri, vieux fantômes de coups qui reviennent mettre des bleus au cœur, stupeur et lutte au corps à corps avec les émotions qui voudraient me ramener au désamour. La sensation de devoir résister à de très fortes secousses sismiques sans m’écrouler. Très tôt ce matin, la falaise et la source encore dans l’obscurité m’ont apaisée. Bouger pour ne pas chuter dans mon propre vortex. Ne pas prendre plus que ce que je peux porter. 
[Partie pour rester]
RITUEL
passe le clou
de bouche en bouche
rituel onirique
éros mêlé de ferraille
de l’amant à l’aimant
l’attraction persiste
passe la langue
de bouche en bouche
rituel d’hommes
au verbe mouillé de salive
d’un mot à l’autre
le silence demeure
et passe la mort
de bouche en bouche
rite mortuaire
carne et terre
d’un corps à l’autre
passe un rituel de vie
[Mystica perdida]
Jeudi 12 février 1998 – 2h du mat’- 
Que dire sinon que la vie est une histoire à laquelle je crois ! Nous sommes chacun sur un radeau, attaché à d’autres radeaux et parfois l’envie me vient de couper ces liens jusqu’au dernier, pour savoir où le courant m’entraînerait, pour savoir simplement. 
Un jour viendra où de toute façon mon radeau s’en ira par le fond. Il arrive que la panique s’empare soudain de moi et que je suis prête à sauter avant qu'il ne chavire… Je ne parle pas de suicide, mais simplement d’abandon, partir à la nage… 
Toute créature est douée d’un fort instinct de vie, pas la moindre cellule qui n’échappe au cycle de vie et de mort. Mystère. Tout est mystère ! 
Et moi, pauvre créature enflée d’orgueil, l’orgueil de vivre, d’exister, moi ! Ce « moi » énorme, cette montagne d’illusions ! Je brûle à en avoir le vertige et je crains parfois à trop vénérer la vie, de ne faire que passer à côté d’elle, tellement fascinée par son mystère que j’en oublie d’en profiter. 
La folie de chacun de nous peut-elle cohabiter dans l’amour ? 
Tolérants en surface, intolérants en profondeur. À chacun ses parades, à chacun son courage qui ne se mesure qu'à la lâcheté ambiante, chacun et tous dans la même salade, condiments ou cons déments…
J’ai le vertige de ma propre existence et les autres sont des gouffres ! J’y plonge souvent avec joie mais parfois je recule de terreur, avec au cœur un hurlement muet, déchirant et sans issue. Je le ravale. 
Je suis folle et j’en redemande, jusqu’à l’épuisement. Masochiste ? J’aime creuser… Je me souviens du trou que je creusais dans le jardin de mon enfance, à la pelle en plastique, et qui devait me conduire en Australie. J’avais 5 ou 6 ans, et j’étais convaincue d’y arriver… Je ne me suis pas encore découragée, ça viendra, j’ai tout mon temps ! 
On peut creuser pendant plus de vingt ans sans savoir si on va arriver quelque part, voyage souterrain…
Il y a longtemps, j’avais écrit que nous autres êtres humains, nous étions comme des taupes, c’est peut-être vrai. 
Écrire devient pesant, je préfèrerai laisser mes mots monter au plafond, plutôt que de les coincer sur une page. 
Qu'est-ce qu'écrire, sinon tenter de saisir au vol des pensées pour les figer sur du papier ? Les mots-papillons, certains perdent vite leurs couleurs, d’autres conservent leur éclat pendant longtemps, mais ce ne sont que des tentatives, du décryptage, très souvent les pensées nous échappent et c’est peut-être très bien ainsi. 
Que les pensées lumineuses aillent rejoindre les ruisseaux de joie qui parcourent la terre, quant aux autres elles sauront toujours trouver leur chemin, pas de soleil sans ombre… 
Nos pensées agissent, avec plus ou moins de force, mais elles agissent, j’en suis persuadée. 
[Journal]
Série croix
    Je suis entrée en poésie comme on entre en religion. Je ne suis pas une poétesse, je suis témoin de poésie. Je la vois, je la sens, je la vis, j’en témoigne et demeure tranquille, absorbée dans la contemplation des poules. 
    Circule ruisseau d’invisible beauté, irrigue de ta présence intense, laisse venir l’indéfinissable, ce qui brûle la langue. Déchirure, lucarne. La part vive, une fulgurance d’éternité. Vent, chemin, sable. Parfum entêtant des plantes sorcières.
[Calepin paisible d'une pâtresse de poules]

Rives de l'oubli
j’ai sculpté mes racines 
j’en ai fait une œuvre d’art 
comme l’on sculpte un arbre mort 
mon histoire 
je l’ai découpée en poèmes 
qui n’ont aucune 
importance 
ce sont juste des poèmes
des mots qui circulent 
petits ruisseaux grandes rivières
[ourse (bi)polaire]

Samedi 22 février 1997, 0h20 
J'ai peur pour le monde, plus que jamais et ça parce que je vieillis. C'est extraordinaire de vieillir, terrifiant aussi ! Je sens terriblement mon impermanence... Le "je" qui n'est qu'un jeu, "je" n'existe pas, "je" est une agglomération de molécules en perpétuelle transformation. "Je" n'en sais rien, mais j'imagine, "je" ne sais pas mais "je" sens. 
Intuiter, beau verbe populaire ! Les mots sont si entraînants parfois, farandoles de courbes enlacées qui envahissent en toute liberté, la blanche prairie de papier. 
Arabesque, quel joli mot, mélange d'Arabie et de Mauresque. Et turquoise, mélange de Turquie et d'Iroquoise. 
Zéphyr, désir de fuir ou baiser de saphir ? Argentine, serpentine, nectar des vignes, rubis étoilé... Saborder... S'aborder... 
Travesti, c'est pourtant un joli mot aussi ! Traviata et confettis, un travesto, deux travestis ! 
Quand j'étais petite, je préférais les gueules de loup aux œillets et maintenant ? 
Je n'aime pas "garage", gare à l'âge, ni "stationner", stase au nez... 
Putréfaction est abominable et abominable est à son image !
Hamster, un rapport avec le jambon anglais?
Strabisme, oh que c'est vilain ! Et je ne parle pas de cubisme...
Cratère, mot splendide, cracheur de terre. 
Suis-je vraiment "objective"? Pouvons-nous aimer les mots pour leur musique, en oubliant leur sens ? Monnaie, joli nom qui sonne au fond de la poche et homonyme d'un peintre plutôt gai. Monnaie et l'impressionnisme, car chacun sait que la monnaie sert à impressionner... Impressionner les masses qui lui rendent un culte passionné, et grâce à quoi on peut les mener par le bout du nez. 
Pourtant, même la monnaie va disparaître... Reste l'argent, arrogant, outrage aux gens et rage dedans ! Les billets, de biais, les gros surtout et les opérations financières à la même sauce que le veau. 
Cri ! Voilà un mot bref et sans appel ! Cela aurait pu tout aussi bien être "cra" mais le i correspond mieux au strident, à l'urgence. 
J'ai l'impression d'être un petit rédacteur, écrivant une petite rubrique bidon pour un petit journal bidon, ce qui lui permet toutefois de se laisser aller en toute liberté. 
L'argent est un simulacre de liberté, je reste persuadée que les petits de ce monde sont plus libres que les grands, mais quel sens donner à ce mot "liberté"? 
La liberté existe, mais appelons là "libération", libération du soi. 
Nous ne donnons un sens au mot liberté que dans l'instant où il nous semble la perdre. Souvent trop tard. Mais est-il jamais trop tard ?... 
Je suis lâche, mais à vrai dire je ne saurais dire la différence entre un acte de courage et un acte de lâcheté, tout dépend du point de vue duquel on le considère. Ça, ça s'appelle une dérobade ! 
Je vois des vignes, du ciel et des volets bleus, des pierres blanches, des oliviers, des cruches, du bon pain, des abeilles, un bouquet de lavande, quelques papillons jouant avec la brise... 
Du vin tiré à la cave, le chat qui dort, le chien qui baille et là-haut, au milieu des ruines silencieuses, un vieillard, les yeux perdus dans l'immensité du ciel, s'appuie sur un bâton. Il reste là, immobile, il veille parmi les ruines et cet homme-là en fait beaucoup plus que ce que l'on pourrait croire. Il a le temps. 
 [Journal]
La poésie n’habite pas dans les mots. La poésie est sans mot fixe. 
Elle erre seule, maudite et folle, sage flamme. 
La poésie si vous n’y prenez garde contamine chaque cellule, parcelle, seconde de votre vie. C’est la mystique universelle du gluant obscur au blanc pur, elle a la densité de la pierre, la fulgurance d’un ange. 
La poésie n’a pas de visage mais ses hanches ont le doux balancement du hamac. Elle aime les beaux garçons qui dansent en rond sous ses jupons. 
Elle est propre, sauvage, profonde et ne ment jamais. 
[Chroniques du hamac, à tire d'ailes 2008]
Série portes
FÉVRIER 
Je bois l'or des chênes nus au soleil d'hiver, 
quand apparait la discrète fleur de buis 
et les premiers insectes voltigeurs. 
Le ciel est d'un bleu crémeux et l'herbe 
a la couleur de l'osier. 
Ce soleil de février est encore bas sur l'horizon 
mais promet pourtant un proche printemps. 
Le pull est supportable mais les pieds 
délivrés des chaussettes 
sont posés, heureux 
comme des chats sur l’herbe 
[Je l'aime nature, 2011]
Humaine poétesse, chanteuse, comédienne, peintre, collagiste, revuiste, sorcière, jardinière, marcheuse-cueilleuse...
(Tellement difficile de faire des choix pour présenter l'œuvre si abondante de cette âme ! N'hésitez pas à fouiller !)
Femme-Feu

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