mercredi 18 mars 2009

BRÈVES D'AOS

Quelques pensées d'Austin Osman Spare, l'un des magiciens les plus incompris, les plus récupérés et les plus falsifiés (particulièrement par la Chaos-Magick dont il n'est pas du tout le père ni l'ancêtre) de l'histoire contemporaine. Il suffit de lire ce qu'on écrit á son propos, tant sur le web francophone qu'anglophone, pour se rendre compte qu'on l'a rendu incompréhensible pour longtemps, d'avoir voulu le simplifier, de l'avoir tordu et trituré, d'en avoir fait un chaos-magicien, un anarchiste, un thélémite, un anti-symboliste, un occultiste, un anti-traditions, un ontologiste aux doctrines imprécises ou que sais-je encore ? Mais pourrait-il en être autrement alors qu'on lit plus facilement les résumés déformés de ses oeuvres que l'auteur lui-même ? On cite parfois tous les titres de ses livres, mais on constate qu'á part son Livre du Plaisir, ses oeuvres sont méconnues, ne sont que mentionnées. Tous les commentaires sur Spare s'en tiennent donc aux idées exposées dans le Livre du Plaisir, passant à coté d'un génie magique et artistique autrement plus prolifique. Qu'en est-il de sa formule de Plotin, de celle du Sable d'Anon, de la formule du Sabbat Blanc, de sa formule de l'Arrivisme, de celle de la Théurgie de Zos, de celle de la Perspective Transcendantale ? On parle de la dualité de Zos et de Kia, on la déforme au passage par des définitions absurdes et incohérentes de Carroll, mais on oublie que Spare se fonde sur une tétralogie dont les traîtres lecteurs évincent Ikkah et Sikha. Et que penser de sa critique acerbe de la psychologie et de la psychanalyse ? Rien. On nous en fera plutôt un disciple de Freud, qu'il appelait pourtant docteur Fraude, ou de Jung, qu'il appelait docteur Joug ! Oui, mais l'inconscient, le subconscient ? C'est pas Freud ? Et de simplisme en simplisme, on en arrive donc au dévoiement d'une des pensées magiques les plus riches du siècle passé. Pour une technique ou deux captées dans son Livre du Plaisir, celle des sigils ou celle de la Posture du Mort, combien d'autres, toutes aussi fabuleuses les unes que les autres, aura-t-on oubliées ? Idem pour le fond métaphysique de sa magie, que d'aucuns en viendraient presque à qualifier de superfétatoire. Elle est pas belle la vie quand on se la simplifie ? Sans doute, mais la toute puissante simplicité d'AOS est sans rapport avec le simplisme. On ferait peut-être bien de commencer à s'en rendre compte.



  • Je suis la cause. Tu es l'effet.
  • Je n'ai jamais vu d'homme qui ne soit déjà Dieu.
  • La somme du "Moi" est l'illusion majeure.
  • Ce qui est non-manifesté est l'Absolu ; ce qui est manifesté est réalité (1), au même titre que toutes ses différenciations.
  • L'âme est les animaux ancestraux, le corps est sa sagesse.
  • Ce "Je" phénoménal est nouménal et Ni Ceci, Ni Cela.
  • Aussi haut que tu t'élève, aussi loin que tu ailles, tu ne touches jamais que le corps.
  • La Magie n'est pas une simple connaissance, elle n'est pas une simple pratique qui commence et finit à l'intérieur d'un rite pré-défini, elle est une forme de vie.
  • Lorsque nous désirons directement, nous perdons tout complètement ; nous "sommes" ce que nous désirons et c’est pourquoi nous ne pouvons pas l’obtenir. Désire Rien, et il n’y aura nulle chose que tu ne puisses réaliser.
  • Je crois en la chair, maintenant et toujours... et nul ne peut aboutir à quoi que ce soit si ce n’est par la chair.
  • Comment pourrais-je parler sur cela qui a eu besoin de mon silence ?
  • La pensée est la négation de la connaissance.
  • Plus je suis chaotique, plus je suis complet.
  • Ne résiste pas au désir par la répression, mais transpose ce désir par un changement vers le niveau supérieur.
  • La conscience du désir est négation de la possession. Rends ton désir subconscient.
  • La Posture de la Mort est la réduction de toute conception (le péché) au "Ni ceci-Ni cela".
  • Il existe de nombreux exercices préliminaires, aussi innombrables que les péchés, futiles en eux-mêmes mais désignant les moyens terminaux.
  • Toutes les voies du Ciel conduisent à la chair. Notre réorientation et notre ascension depuis la terre doivent commencer par là.
  • La vraie sagesse ne peut être exprimée par des sons articulés. Le langage des sots, c'est les mots.
  • Combien aisée la Voie, il semblerait que rien ne devrait en être dit, et tout passé sous silence! Puissent mes mots être rares et féconds!
  • Toutes les choses existent dans un flux, rien n'est statique, nos vérités ne sont pas immuables, des différences dynamiques apparaissent dans nos mises en relation.
  • Cesse de chercher la sagesse dans la morale.
  • Pour moi, il n'y a pas de chemin excepté mon chemin. Par conséquent, allez par votre propre route - personne ne vous guidera pour marcher vers vous-même.
  • Permettez que vos plaisirs soient comme des couchers de soleil, HONNÊTES... SANGLANTS... GROTESQUES !
  • Soyons honnêtes! Vous êtes 'cela', suprême pour ce qui est de la liberté, fort désirable, au-delà du désir, non touché par les six stupéfiants.
  • Il n'est d'autre illusion que la conscience !
  • La conception du "Je ne suis pas" doit nécessairement suivre la conception du "Je suis", à cause de sa grammaire, comme il est sûr qu’en ce triste monde la nuit doive suivre le jour.
  • En cet état qui n'est point, il n'est aucune conscience d'aucun ordre que vous êtes 'cela' (Kia), lequel est superbe, hors de portée des définitions : il n'est pas de tentation de liberté, 'cela' n'était pas la cause de l'évolution. D'où que 'cela' soit au-delà du temps, de la conscience ou de l'inconscience, de tout ou de rien, etc., cela je sais via le 'Ni Ceci-Ni Cela' qui est automatiquement derrière toute conception, toujours libre en tout sens que ce soit.
  • Le superficiel ’protège’ mais ne change rien au vital.
  • En ces choses où l'homme est distinct de ses dieux, il est distinct de lui-même.
  • La BEAUTÉ est sans objet, elle confirme notre sens intérieur de la perfection, lequel change moins que nous.
  • La sensation peut être visualisée.
  • L'EXTASE est notre mesure pour l'hors du temps qui jouxte la Réalité. C'est un puissant instant de génération qui a aussi pour avantage, lorsqu'il est synchronique, de pouvoir être utilisé abstraitement pour incarner un désir.
  • Tout comme cela se produit dans d'autres secteurs de la connaissance abstraite, l'esplanade de l'Occulte est le lieu où les charlatans ouvrent boutiques et commerces. La monnaie en usage ici est habituellement différente - les mensonges y ont une étrange longévité et fécondité - la vérité a été enterrée. Des abstractions telles que "esprit", "pensée" ou "intellect" n'ont plus aucune définition exacte. Pour parvenir á un accord minimum, nous devons revenir aux classiques. Devrais-je, tel un Dieu, tomber dans cette fange d'inexactitude ?
  • La pensée peut être vue comme une dynamique toujours présente, comme l'Ether - nous sommes inévitablement en elle et faits d'elle. Elle n'est pas une oeuvre incomplète, ni une oeuvre en cours d'achèvement, bien qu'elle soit un changement incessant de la forme et du degré de notre conscience. L'homme n'est qu'un véhicule de la pensée et la pensée gouverne le monde. Les savants confondent constamment les "moyens" avec la cause : cerveau, nerfs, corps, etc, sont les moyens de la pensée ; et lorsque la pensée même est dynamique en eux, nous disons que c'est "l'esprit" - lequel a probablement quelque rapport étrange avec L'Esprit qui est derrière tout. Si l'esprit possède un "lieu", c'est dans le corps tout entier et non dans l'une de ses quelconques parties. Car la pensée est une impression conséquente du sentiment (toutes les choses cohabitent tout le temps). L'identité surgit de l'acte d'identifier et le prix en est la souffrance (et encore plus de pensées). Donc, l'identité est une obsession, une composition de personnalités, toutes fausses... un ego hypertrophié : une catacombe résurgente où les démiurges fantomatiques voient en nous leur réalité.
  • Les rêves sont interprétés par parallélisme, pas par libre association : il n'y a pas de censeur du rêve, mais une pensée amorale exprimée au moyen du symbole, de l'idéographie et de la métaphore.


NOTE :
(1) N. d. T. : Littéralement, le terme "réalité" signifie "choséité". Il implique inévitablement l'existence d'un objet, d'une "chose" objective et ne peut servir par conséquent d'indicateur acceptable pour la totalité de l'inconditionné ou pour la complète absence de qualités objectives. "Dans ce sens, seul le phenoménal peut être qualifié de "réel", tandis que le nouméne est "irréel". Toutefois, nouménalement, la différence entre ce qui nous paraît réel et ce qui nous semble irréel, ou entre la chose et la non-chose est illusoire, puisque ni l'un ni l'autre - que ce soit ensemble ou en l'absence des deux - ne possède aucune sorte d'existence, sinon en tant que simple concept." ( Wei Wu Wei, Postumous pieces, éd. Hong Kong University Press,1968, p.229)
Extraits de Le Centre de la Vie, De l'esprit á l'esprit - le comment, Le Livre du Plaisir, L'Anathême de Zos et La Logomachie de Zos. © copyright 2002-2009, traductions françaises par Jean-Luc Colnot.

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