samedi 26 mars 2022

SILENCE-PARLANT & LOGOS-PHUSIS

Rafal Olbinski
    Mon ami, les prêtres du temple de Zeus, à Dodone, ont affirmé que c’est d’un chêne que sortirent les premières paroles divinatoires. Les gens de ce temps-là, qui n’étaient pas savants comme vous, jeunes gens, écoutaient fort bien dans leur simplicité un chêne ou une pierre, si le chêne ou la pierre disaient la vérité.
 (Socrate)

    Sous aucun prétexte ne faites de différence entre l'absolu et le monde sensible (Huang Po).

   Tous les phénomènes sont au-delà du nom et de la forme. Le son des rivières et la couleur des montagnes sont si intimes ! Le monde entier est une porte, pourquoi ne pas l'ouvrir ? […] Tous les phénomènes sont au-delà du nom et de la forme. Voyez les couleurs et éveillez-vous. Ecoutez les sons et entrez dans la voie. (T'aego)

    Toute chose possède une bouche pour se manifester et en cela réside le langage de la nature. Par ce langage, toute chose parle selon l'essence. (Eckartshausen, Sur les forces magiques de la Nature)

    Toutefois, interroge, de grâce, les bêtes pour qu'elles t'enseignent, les oiseaux du ciel pour qu'ils te mettent au courant. Ou bien adresse-toi à la terre pour qu'elle t'instruise, aux poissons de la mer pour qu'ils te donnent leur avis. (Job 12, 7-8)

    Le silence permet de tout entendre et de tout dire. (Louis Cattiaux)

    Tous les êtres te célèbrent, ceux qui parlent et ceux qui sont muets. Tous les êtres te rendent hommage, ceux qui pensent comme ceux qui ne pensent pas. […] Tout ce qui existe te prie et vers toi tout être qui sait lire ton univers fait monter un hymne de silence. (Grégoire de Naziance)

    Tu comprendras alors les mots de l'homme, le discours de l'animal, le gazouillis des oiseaux, les paroles des ḥayot, les aboiements des chiens qui sont la science du mélomane qui va. Ainsi tu deviendras un sage transcendant du plus haut niveau, capable de comprendre le langage des démons et le langage des anges au service des feux, les conversations des palmiers, les ondoiements des mers et la combinaison des cœurs et des pensées les plus intimes. (Mayan haḤoḳmah 7)

    Tout ce que l'on peut concevoir par l'intelligence ou percevoir par les sens n'est rien d'autre que l'appari­tion de celui qui est non apparent, la manifestation de celui qui est caché, [...] la corporalisation de l'incorporel, la visibilité de l'invisible, la localisation de ce qui n'a pas de lieu, la temporalisation de l'intemporel, la finitisation de l'infini, la circonscription de l'incir­conscrit. (Jean Scot Érigène)

    Qui a jamais vu l'informelle substance du silence ? (Michel Camus)

    Du feu descendit des cieux et les entoura. Les anges de service sautillaient devant eux, comme les gens d’une noce se réjouissent devant le fiancé. Un ange se mit à dire du milieu du feu : Comme tu viens de l’exposer, Eléazar ben Arak : tel est le Char Céleste. Aussitôt, tous les arbres se mirent à parler et à chanter. (Talmud de Jérusalem, Haguiga 77a-b)

    Les saints seuls peuvent l'entendre. […] C'est inouï, c'est inouï ! La prédication du Dharma faite par l'inanimé est inconcevable ! À l'oreille, elle reste à jamais inaudible. À écouter sa voix avec l’œil, on peut justement la connaître. (Dogen)

    Je vis comme un silence qui parlait. (Heḳalot Rabbati 26)

    Le jour en fait le récit au jour, la nuit en donne connaissance à la nuit. Point de discours, point de paroles, leur voix ne se fait pas entendre. Sur toute la terre pourtant s’étend leur harmonie, et leurs accents vont aux confins du monde, là où Dieu a assigné une demeure au soleil. (Psaumes 19, 3-5)

    Le silence est la plus haute initiation. Le silence n'est pas l'opposé mais le sommet du discours. Le silence n'arrête pas de parler. Il est le flot éternel du langage. Le silence est le plus élevé des langages. (Ramana Maharshi)

    Ainsi, le langage muet des choses brise l’écorce et la clôture des mots, nous jette dans l’étonnement de leur apparaître. La solitude sonore des choses de la Nature est en réalité le tsim-tsoum créateur de la Parole. Du simple fait d’exister, tout parle silencieusement. (J-L Colnot, Le Manteau d'Élie)

    Les cieux disent... le vent dit... le soleil dit... la nuit dit... la pluie dit... les montagnes disent... la fourmi dit... les champs disent... les éclairs disent... les arbres disent... le chien dit... (Perek Shira)

    Pour nous tout est parole. L'enseignement secret, la belle parole, la première parole, la parole originelle, la parole-âme, elle vient de l'arbre des paroles-âmes, elle est l'œuvre de ses branches. (Mbya Guarani)

 La conséquence de ceci est que le ḥashmal, le silence parlant des kabbalistes, est phénoménologiquement informatif à 100%, très docte en sa nescience et lumineux en sa ténèbre. (J-L Colnot, Le Manteau d'Élie)

    L'apparence doit être connue comme non-séparée du non-être et le non-être comme non-séparé de l'appa­rence. La perception doit être connue comme non-séparée du non-être et le non-être doit être connu comme non-séparé de la perception. (Sutra du Cœur)

    À Celui qui fait sortir Son être du néant il ne manque rien de ce fait, car l’être est dans le néant à la manière du néant, et le néant est dans l’être à la manière de l’être. […] L’être est le néant et le néant est l’être. […] N’excède donc pas tes forces à spéculer, car notre intellect limité ne peut pas saisir la perfection de cet insondable là qui est un avec En-Sof. (Azriel de Gérone)

    En manifestant toutes choses, il se révèle en elles et par elles, à ceux surtout auxquels il veut se révéler. (Corpus Hermeticum)

    La voix des vallées n'est autre que celle qui sort de l'immense langue de l’Éveillé. Les formes-couleurs des montagnes ne sont autres que le pur Corps de l’Éveillé. Moi qui ai entendu les quatre-vingt-quatre mille poèmes durant la nuit, comment, le jour venu, puis-je les exposer aux hommes ? (Soshoku)

    Ainsi, à la porte de la coïncidence des opposés, gardée par l’ange qui se tient à l’entrée du Paradis, je commence à te voir Seigneur. Car tu es là où parler, voir, entendre, goûter, toucher, raisonner, savoir et comprendre sont une seule et même chose ; là ou voir coïncide avec ce qui est vu, entendre avec l’entendu, goûter avec ce qui est goûté et toucher avec ce qui est touché, parler avec écouter et créer avec parler. (Nicolas de Cues)

    Écoute un homme qui a de l'expérience. Tu apprendras bien plus dans les forêts que dans les livres. […] Les arbres et les rochers t'enseigneront ce que tu ne pourrais apprendre des plus grands maîtres. […] Ce que je connais de la science divine et des Saintes Écritures, je l'ai appris dans les forêts et les champs, je n'ai eu d'autres maîtres que les bouleaux et les chênes. Écoute seulement la voix des pins et des cèdres lorsque le vent ne souffle pas. (Saint Bernard de Clairvaux)

    Les sots croient que la prédication du dharma par les êtres inanimés est comme le bruit du vent dans les pins, mais si tel était le cas tout le monde pourrait l'entendre. [...] Ne l'écoute pas avec l'oreille, écoute-la avec l'œil, car les êtres inanimés prêchent le dharma de façon inanimée [...]. Ungan dit un jour : Si vous ne pouvez pas entendre ma prédication du dharma, comment donc pourrez-vous l'entendre des êtres inanimés ? Il se référait à l'état de conscience d'une personne ordinaire. Il existe cent manières et chemins pour entendre la proclamation du dharma par des êtres inanimés, mais le maître voulait faire comprendre que cela ne se fait que par une conscience autre. (Dogen)

    J’ai demandé à cette pierre : qui es-tu ? Elle répondit : je suis Jésus. (Mathilde de Magdebourg)

    Si tu te dis à toi-même : ‘En-Sof s’étend jusqu’à un certain point, et au-delà c’est hors de Lui’, Dieu t’en préserve, car tu fais une division en Lui. Au contraire, tu dois plutôt dire que Dieu est en toute chose existante. On ne peut pas dire : ‘Ceci est une roche et non Dieu’, Dieu nous en préserve. Mais plutôt : ‘toute existence est Dieu et la roche est une chose pleine de Dieu’. Dieu est en tout et il n’y a rien en plus de Dieu. (Moïse Cordovero)

    La bi-unité parole et matière est caractéristique de la liturgie chrétienne, inclusive du cosmos et de la matière. La foi chrétienne ne connaît aucune séparation absolue entre esprit et matière, entre Dieu et la matière. (Joseph Ratzinger)

    Il est certain que pour les peuples anciens, la « matière » n'était pas ce qu'elle est pour l'homme moderne. […] La conception d'une matière radicalement séparée de l'esprit, telle qu'elle se présente aussi bien en théorie qu'en pratique dans notre monde moderne, n’est nullement évidente en soi. […] Pour les peuples anciens, la matière était comme un aspect de Dieu. Dans les civilisations communément appelées archaïques, cette perspective était immédiate et reliée à l'expérience sensible […]. Ainsi, selon le point de vue archaïque, les choses étaient perçues de façon sensible et spirituelle en même temps […]. (Titus Burckhardt)
Crédit image : Christian Mironi

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