mercredi 28 mai 2008

BALDAQUIN DES LETTRES


(...) Archétype du feu, le SHIN (300) indique graphiquement le ternaire et reprend donc ce que symbolisent le GUIMEL (3) et le lamed (30), à différents niveaux. Les trois lettres ensemble forment le mot SHAGAL (333) - lamed-guimel-shin - qui signifie cohabiter, vivre ensemble, au sens de former un couple. Étant donné que GAL - lamed-guimel - est la vague et que SHEL - lamed-shin - indique l'appartenance, de, on peut pressentir dans la langue hébraïque qu'aimer, s'accoupler au sens mystique, signifie participer à la vague, contribuer au mouvement cosmique, s'unir pour toucher l'énergie primordiale. De tous les noms que la Bible donne à l'homme, le plus pertinent, au regard de ce processus d'échange et de fusion d'énergie, est celui de ISH, qui apparaît pour la première fois dans Génèse II:23 : "Adam dit alors : celle-ci est maintenant os de mes os et chair de ma chair ; on l'appellera femelle (ISHA - he-shin-aleph) parce que de l'homme (ISH - shin-iod-aleph) elle fut prise". Pour respecter l'atmosphère qu'il dégage dans l'esprit des Ecritures, le mot femelle, ISHA, devrait plutôt être rendu par Hommesse.

La cohabitation, le fait d'habiter ensemble ne vise pas uniquement la reproduction, mais aussi un retour à l'état androgyne des commencements du monde, lequel état semble tellement lié au langage - puisque Ève apparaît dés lors qu'Adam ne peut " se nommer lui-même " - et au monde des images et des reflets. Héliodore, un oniromancien de grande réputation dans l'antiquité disait que "Lorsqu'un homme rêve d'un miroir cela signifie femme. Et lorsqu'une femme rêve d'un miroir c'est qu'il s'agit d'un homme". Pour la kabbale, cette relation spéculaire est soulignée par la racine ignée dont participent aussi bien le mâle que la femelle. En effet, le SHIN enseigne que le feu, ESH, shin-aleph, attirant les sexes l'un vers l'autre, est dûment équilibré par le IOD et le HE, lettres qui, selon le ZOHAR sont "le père et la mère". HE est dans ISHA et IOD est dans ISH. Or, de l'union de ces deux lettres (10 + 5 = 15 ; 1 + 5 = 6 ) naît le VAV (6) qui est logiquement "le fils", troisième lettre du Nom Ineffable. C'est en vue de signifier l'action de ce feu que SARAI et ABRAM changent de nom pour devenir SARA et ABRAHAM, par le jeu du IOD et du HE. Ce qui est remarquable, c'est que l'Ecriture est tellement imprégnée de ce mystère qu'elle l'applique aussi à la relation singulière de David et Jonathan. Pour ces deux-là, la Bible n'aurait pas utilisé le mot AHAVA (amour) si elle n'avait pas voulu signaler que leur pacte était de même nature, par exemple, que le lien entre YACOB et RACHEL. A ce titre les commentaires de Hayim Yossef David Azoulai, l'un des grands kabbalistes du XVIIIème siècle, ont quelque chose d'unique. Ils expliquent comment un IOD est ajouté au nom de DAVID et un HE au nom de JONATHAN. On retrouve ici les deux lettres sexuantes par lesquelles furent changés les noms de SARAI et ABRAM. Pour quelle raison ? "Elles sont équivalentes aux deux lettres qui se trouvent dans la désignation de l'homme et de la femme. Chez ces deux viennent la virilité et la féminité, ce qui donne une dimension plus grande à leur relation" (Roch David, HYDA). David et Jonathan s'aiment. Un Grand Troisième les unit. Entre les deux, les Ecritures reconnaîssent une alliance : "Jonathan fit un pacte avec David, car il l'aimait" (1 Samuel XVIII:1). Et ensuite vient cette erreur de traduction, ou plutôt cette manipulation qui occulte le texte : lorsque David se marie avec la soeur de Jonathan, le père de Jonathan ne lui dit pas : "Pour la seconde fois je vais te donner l'occasion d'être mon gendre" mais : "Tu seras mon gendre pour la seconde fois". La premère fois, c'était grace au pacte conclu avec JONATHAN : "L'âme de JONATHAN s'attacha à celle de DAVID et JONATHAN l'aima comme lui-même" (XVIII:1). "Au nom de D° nous nous sommes juré l'un à l'autre, qu'Il sera entre nous" (1 Samuel XX : 42). (...)

HE est dans ISHA et IOD est dans ISH. Mais ISH, et dans ce cas ISHA, est également le nom de la créature mystérieuse qui lutte contre JACOB, le blesse au talon et finalement change le nom de JACOB pour celui d'ISRAEL. Le SHIN placé entre le IOD et le ALEPH fait-il allusion à l'état angélique dont tout homme et toute femme participe ? Au fragment 46 du BAHIR il est écrit : "Son "grand feu" est sur toute la terre. Il engendre une voix". Il s'agit bien sûr du 'HASHMAL, qui est le feu du silence parlant. Le kabbaliste déduit de ce passage du BAHIR que toute voix vient du ciel, ainsi qu'il est dit : "Depuis le haut des cieux il t'a fait entendre sa voix pour t'instruire, et sur la terre il t'a fait voir un grand feu, et ses paroles, tu les as entendues au milieu du feu" (Deut. IV:36). Le rapport de la langue et du feu réapparaît plus tard avec la venue de l'Esprit, dans les Actes des Apôtres II : 32 : "Et des langues de feu leur apparurent..." Ainsi s'établit le rapport du feu et de l'esprit au travers du langage, qui, comme mentionné au début de nos études sur les lettres, lie les chromosomes par moitié semblable, ainsi que l'homme et la femme.

L'échange d'énergie entre les sexes, dynamisé par le SHIN, se transforme par médiation du principe venant du RESH en un chant ou cantique d'amour : SHIR. De la tête, ROSH, shin-aleph-resh, aux pieds, REGUEL, lamed, guimel-resh, la vague, GAL, lamed-guimel, éveille le feu sous-jacent à l'esprit, cet ESH, shin-aleph, qui anime et active chacun de nos humides neurones.

Aucune intelligence SECHEL, lamed-kaph-shin n'atteint le Tout, COL, lamed-kaph, sans ce contact de l'autre. Il est nécessaire qu'ait lieu la transfusion, le croisement, SICHEL, lamed-kaph-shin d'un être à l'autre, de sorte que le miracle du il y a, IESH, shin-iod - par un effet de miroir - se produise, tel un cadeau, SHAI, iod-shin. Car telle est la contribution du point originel tournant à l'intérieur de nos têtes, comme une particule sur le point d'accoucher d'une étoile.

Parvenu au climax, à la hauteur la plus folle de l'orgasme, retour à l'instant primordial qui a vu la décision de créer l'être humain, on retrouve l'indétermination androgynale qui convertit l'homme, ISH, shin-iod-aleph en SI, aleph-iod-shin, qui s'écrit exactement en sens inverse et signifie l'orgasme de l'union.(...) La compréhension de cet érotisme apparut dans la kabbale à l'époque du Zohar, c'est-à-dire en Espagne et dés le XIème siècle. Mais il était présent de longue date dans la langue hébraïque. Un concept tel que celui du couple, ZUG, guimel-vav-zain, évolue du Talmud à la Kabbale pour se convertir en ZIVUG, guimel-vav-vav-zain, ou accouplement céleste et mystique au moyen duquel, dit-on, les âmes des couples sont choisies et sexuées par D° quelques quarante jours avant la naissance. Ce concept montre une sensibilité à la structure binaire et miraculeuse du langage, manifestée tout d'abord par le ZAIN qui, en hébreu moderne, a une nette connotation sexuelle et révolutionnaire - en hébreu argotique de Jérusalem, ZAIN est une désignation vulgaire du sexe masculin, la queue - et ensuite par le VAV qui, paraissant deux fois, dénote précisément cette dualité - copulative et conversive à la fois - et sa transcendance dans l'acte amoureux.

Une fois de plus je parle du langage et de l'union. C'est que, privés de leur terre, éloignés et continuellement vilipendés, où les juifs pouvaient-ils se libérer de leur charge érotique si ce n'est dans la fantaisie biblique, dans le délire interprétatif, dans la LASHON HAKODESH ou langue sacrée ? Il suffit d'un simple détail guématrique pour s'en convaincre, puisque la valeur numérique de l'accouplement est, ZIVUG = 7+6+6+3 = 22, qui comme chacun sait est le nombre de lettres composant l'alphabet hébraïque. De là l'intuition que si l'union est véritable, si elle touche la zone véritablement profonde du Soi, elle peut permettre d'accéder, par des circonstances passagères, au monde de la Création continue. En assemblant une autre fois la totalité des symboles de l'alphabet, le couple découvre, entre hurlements et soupirs, dans les silences d'une éloquente obscurité, la vibration des syllabes primordiales, le battement intra-utérin d'un cosmos sur le point de s'ordonner, la naissance de nouveaux équateurs et de pôles changés. C'est alors que chaque corps révèle son sens dans l'autre et qu'ensemble ils tissent, dans le baldaquin des lettres, moitié à moitié (11+11), des créatures encore vierges de visage, des segments d'autres vies. Dans toute jouissance, il y a quelque chose de la Genèse et de l'Apocalypse, raison pour laquelle, quand arrive le vendredi et que la lune est pleine, les amants initient de nouveau leur fabuleux rite verbal. Mais le vendredi peut être n'importe quel jour, si au vendredi l'on est déjà parvenu, si la langue quotidienne se tend, telle la corde d'un instrument double et magnifique. Alors sonne la musique des sphères.

(...) Comment les juifs pouvaient-ils oublier qu'Adam faisant l'amour avec Eve, il la connut YADA également ? A l'instar du monde juif, l'alliance de l'amour et de la connaissance était tout autant célébrée dans les temples méridionaux des dévôts d'Astarte et de Cybèle. Dans ces temples, les hiérodules ou prostituées sacrées enseignaient aux néophytes les arts de l'amour. Et cette fonction fut signifiée dans la Bible sous l'épithète de KEDESHA, qui veut dire "femme publique". De tels antécédents expliqueraient le rapport de Shabtai Zvi et de Sara, au XVIIème siècle, et les "excès" auxquels se livrèrent les franckistes au plus fort de leur gloire. L'amour est toujours ce dangereux pendule excédant son propre mouvement, là où le sexe MIN, noun-iod-mem, peut devenir sommeil NIM, meme-iod-noun. Encore une fois Nuit et Jour dansent l'alternance de leurs fonctions, la tragédie merveilleuse et horrible de leur alliance instantanée et de leur éphémère identité.

(...) Être avec quelqu'un, dans quelqu'un, ensemble ETZEL, lamed-tsade-aleph, sous la gouverne du Aleph phosphorescent, c'est devenir ombre, pénétrer la projection de nos limites dans l'espace et l'illuminer, se l'approprier par l'effet de l'orgasme. ETZEL est aussi présent dans le mot ATZILUTH, qui est Ombre de Tout. TZEL, lamed-tsade ou l'ombre, n'est donc pas conséquence de la lumière, mais support d'icelle.

(...) Traditionnellement c'est la femme qui garde, impassible et humide comme son ovule intérieur. L'homme, en revanche, lance ses flèches sans nombre vers une cible microscopique dont il ne sait rien par son corps, ignorant sa structure. Ici, l'homme est visible ; là, la femme est inatteignable. De la semence ou ZERA, ayin-resh-zain, au voyage vers l'ovule ou BEITZA, he-tsade-iod-bet, la valeur numérique du premier est réductible à 7, dont l'équivalent alphabétique est le ZAIN, la valeur numérique du second est réductible à 8, dont la correspondance dans l'alphabet est HETH. En se touchant dans la fécondation, les deux créent le mot ZAH, heth-zain, qui veut dire se mouvoir. N'est-ce point par ce mouvement premier que commence la danse du monde, lorsque la nôtre cesse, extraordinaire primum mobile qui, d'Aristote aux inventeurs de la Renaissance, est alternativement mythe et parabole, question continuelle et réponse insoluble ?

(...) Cependant, chez les kabbalistes, juifs ou chrétiens, les unions tendent toujours vers la transcendance et la sublimation de la relation. ISH a en commun avec ISHA les lettres ALEPH et SHIN. Ajouté à cette racine, le IOD fait l'homme et le HE fait la femme. Si nous additionnons les valeurs numériques de ISH et de ISHA, nous obtenons le nombre 14, qui, en lettres, est YAD, daleth-iod, dont le sens veut dire main, mais que l'on retrouve dans YADA, l'acte de connaissance qui lie Adam et Eve. C'est toujours la main qu'on touche en premier, toujours la main qu'on donne ou qu'on demande afin de vivre ensemble et de former le couple.

[Extraits du Cursillo de Kábala, Centro de Estudios Hierosóficos, Córdoba, 1982]

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