samedi 1 octobre 2022

CRISTIAN LAIME YUJRA

Éternité dans les Andes
    « La seule chose que je pouvais et devais faire de ma vie, c'était peindre ». Il le savait depuis son plus jeune âge, c'était écrit dans ses dessins d'enfant. Né en 1988, Cristian Laime est devenu très vite une valeur sûre de la peinture bolivienne en remportant dès 2010 les plus grands prix et concours de son pays. « Je suppose que l'art ne consiste pas simplement à composer un objet agréable à la vue ou contenant certaines caractéristiques esthétiques. C'est peut-être le moment qui antécède l'objet, l'instant qui concentre toute ta vie, cet instant unique et presque miraculeux de ton existence dans l'univers ». Mais l'instant de Laime s'éternalise, cesse d'être éphémère pour approfondir l'espace pérenne de sa culture aymara. Il se déploie en la souveraine figure de la cholita, sa mère, à la fois Pachamama, Vierge-Montagne et emblème immortel de son peuple.
Fête et Pouvoir
    Hommage aux éclatants textiles andins, la force de ses couleurs le dispute aux clairs-obscurs parfaitement maîtrisés de ses compositions. Le trait réaliste vient contraster le symbolisme discret et magique de ses œuvres. Il y a toujours, dans la fête andine, ce mélange ambigüe de lâcher prise et d'ascèse, de beuverie et de religiosité, telle cette invitation souriante à l'ivresse, accompagnée d'un geste simultané de ch'alla.
Angelots noirs
    Ce tableau est directement inspiré d'un poème d'Andrès Eloy Blanco Meaño qui demande s'il existe un artiste capable de peindre les angelots noirs de son peuple vénézuélien, plutôt que de reproduire toujours les standards dominants et lointains. C'est chose faite et ce peintre a désormais un nom.
Décolonisation
Hymne national, assemblée générale
    L'aspect social ne saurait être absent de l'œuvre d'un artiste vivant à El Alto, ville dont on connait l'histoire mouvementée. La femme, la cholita, la mujer de pollera est un symbole de ce courage et de cette résistance populaire, rempart archétypal et fier de l'identité aymara. L'auteur consacre une bonne part de sa production à donner forme aux ambiances sociétales qui l'environnent. Il a d'ailleurs exposé en 2019 sous le titre : De colonisés à décolonisées. Une œuvre militante rassemblant des cholitas dans le contexte d'Octobre Noir remporte le grand prix du plus prestigieux des concours d'art de Bolivie en 2018. L'expression bouleversante des visages entourant une veuve, vêtue comme il se doit de noir et de violet, rappelle avec pudeur l'horreur de ces massacres.
La Barque de l'Oubli
  Enfant, Cristian Laime n'avait de temps que pour la peinture. Cloîtré dans ce monde intérieur sans limites et auto-suffisant, fils unique et orphelin de père, il négligeait peut-être les parties de football et autres sorties avec ses camarades, ce qui lui valut quelques ennuis. « La discrimination et le harcèlement scolaire étaient très courants » ; mais qu'ils sont loin ces temps ! L'artiste ne craint plus désormais les tableaux grands formats dépassant les trois mètres, pas plus que ne l'impressionnent les expositions à New York, ni le fait que les collectionneurs de tous pays se disputent ses œuvres dès qu'elles paraissent. Quoi d'étonnant si ses tableaux voyagent à l'autre bout du monde ? La production de Cristian Laime a une très forte identité et c'est justement parce qu'elle est enracinée que son discours acquiert cette dimension universelle.
Bleu Altiplano
Les mythiques sirènes, Quesintuu y Umantuu.
Tuni condoriri
    L'un des grands thèmes développés par Cristian Laime Yujra est l'environnement. Il lui a consacré une exposition intitulée Mama-Plastic/Pachamama : « Nous nous sommes habillés de plastique, nous sommes devenus nous-mêmes des êtres de plastique, nous avons revêtu de plastique la Pachamama », regrette le jeune prodige. Il a tout envahi, jonchant le sol à la sortie des grandes villes comme El Alto ou Oruro, sur les rives du lac Titicaca, on le retrouve partout. C'est pourquoi l'artiste en enveloppe sa mère, emblématique Pachamama. Terre synthétique en surchauffe, c'est la planète entière qu'il emballe de ses opacités et de ses reflets. Les êtres mythiques s'empêtrent dans son immensité funeste et la néfaste divinité vient à dominer par dessus les Apus eux-mêmes.
La Naissance de Vénus
Durga Pachamama
Pôles opposés
    « El Alto représente pour moi un contraste, la lutte constante entre la modernité et le maintien en vie des identités culturelles qui composent la ville ; c'est un étalement urbain précipité, résultat de siècles de colonisation et de syncrétisme culturel ; c'est une ville qui n'a pas encore défini d'horizon commun, qui est encore en train de se construire ; c'est comme un grand camp de transit, j'ai l'impression que les gens attendent que quelque chose change et transforme leur vie ». Parfois syncrétique, à l'instar de son lieu de vie, l'œuvre n'en finit pas non plus d'évoluer ni la technique de progresser. Cristian Laime  promet de nous laisser bientôt contempler son travail des volumes en sculpture. Je conseille donc, puisque l'artiste semble ne pas disposer d'un site dédié, de suivre attentivement sa production sur son profil Facebook.
Avec Dali, bien sûr !

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